Une maison à 0 $!

Par Isabelle Laramée
Maison ancestrale située au 730, rue Richelieu à Beloeil, avec vue sur la rivière. Toiture, revêtement extérieur et fenêtres entièrement refaits. Deux étages, dix pièces. Libre dès maintenant. Prix : 0 $!
Cette annonce n'existe pas, mais c'est tout comme. Le propriétaire envisage de laisser partir gratuitement sa résidence, qui est évaluée à 146 800 $ par la Ville. Seule condition : le preneur doit la déménager du terrain à ses frais.
Miguel Breton, président de la Société de construction du Québec, à qui appartient la maison, souhaite construire un immeuble de neuf unités de condos haut de gamme à cet endroit, au coût de 4,5 millions de dollars.
Pour aller de l'avant, M. Breton, qui a acheté la maison et le terrain au coût total de 350 000 $ selon le registre foncier, doit obtenir l'accord de la municipalité quant au déménagement de la résidence. Si personne ne veut l'avoir et la déplacer, il se dit prêt à la démolir. Une demande en ce sens a d'ailleurs été faite à la Ville.
Le comité de démolition, qui étudie le dossier, analyse présentement la valeur patrimoniale de cette maison datant de 1840. Selon la Société d’histoire de Beloeil−Mont-Saint-Hilaire, la résidence revêt une grande historicité et doit demeurer en place.
De son côté, l’entrepreneur croit que la démolition de la demeure, qui est inoccupée, ne serait pas une grande perte pour le patrimoine bâti de Beloeil.
« Je ne m’engagerais pas à la démolir pour faire des condos si c'était vraiment une maison en pierre et patrimoniale. Mais cette maison n’a aucun attrait sur ce plan », mentionne Miguel Breton, qui a été promoteur des condos voisins, situés rue Brunelle.
La maison, qui porte le nom de maison Flavien-Desranleau, a été agrandie en 1951. Le propriétaire indique que près de 50 % de la résidence a été modifiée ou agrandie.
Pierre Gadbois, chercheur à la Société d’histoire de Beloeil−Mont-Saint-Hilaire, croit toutefois que le propriétaire surévalue les rénovations et que celles-ci représenteraient plutôt un agrandissement de 50 % de la cuisine d’été.
Patrimoniale ou pas?
Pour l’urbaniste Isabelle Fluet, directrice du Service de la planification et du développementdu territoire de Beloeil, le fait que la maison ne soit pas classée patrimoniale par le ministère de la Culture ne signifie pas qu’elle n'ait pas de valeur historique.
D’autres organisations ont les pouvoirs de déterminer si une maison est patrimoniale, ajoute-t-elle, dont la MRC de la Vallée-du-Richelieu, qui fait en ce moment le recensement de ce type de bâtiments sur son territoire.
Joint par le Vallée-du-Richelieu Express.ca, le consultant en patrimoine culturel et en muséologie responsable de l’étude de la MRC, Claude Bergeron, croit que le 730, rue Richelieu peut au contraire avoir une valeur patrimoniale.
« La maison ne figure pas pour l'instant sur notre liste de bâtiments à inventorier en 2013, car nous avons accordé une priorité aux édifices présentant une meilleure authenticité architecturale. Il n'en demeure pas moins que cet édifice est d'intérêt patrimonial. Il n'est toutefois pas impossible de l'inclure dans notre inventaire », indique, M. Bergeron, président de la firme Bergeron Gagnon, qui réalise l'étude pour la MRC.
La demande de démolition ou de déménagement de M. Breton a fait réagir la Société d’histoire de Beloeil–Mont-Saint-Hilaire. Pour cette dernière, la disparition de la maison Flavien-Desranleau représenterait une perte dans le paysage de la ville.
« La maison cadre avec le style d’architecture qui se faisait à l’époque. Elle a conservé la plupart de ses éléments importants. La société souhaite qu’elle soit conservée puisque les anciennes maisons disparaissent rapidement », explique Pierre Gadbois.
Une rencontre citoyenne
Les membres du comité de démolition de Beloeil ont rencontré une cinquantaine de citoyens, ainsi que le propriétaire du 730, rue Richelieu, le 15 mai.
Loin de prendre la demande de démolition à la légère, la Ville souhaite tâter le pouls de la population.
« C’est une décision importante, mentionne la mairesse de Beloeil, Diane Lavoie. Il faut se renseigner, c’est pour cela que nous avons voulu rencontrer les citoyens. Il nous reste encore des informations à aller chercher et nous pourrons prendre notre décision dans environ un mois. »
Selon la coordonnatrice du projet de revitalisation du cœur du Vieux-Beloeil, Nadine Viau, une décision en faveur du propriétaire irait à l’encontre de la mission que la municipalité s’est donnée.
« Les citoyens sont inquiets de voir leur patrimoine bâti disparaître aussi facilement. Cette histoire va créer un "après le 730, rue Richelieu". La Ville se questionne afin de déterminer comment on peut assurer la préservation des bâtisses à long terme. »
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