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Interpellations policières aléatoires: c'est la Cour suprême qui tranchera

durée 10h07
1 mai 2025
La Presse Canadienne, 2024
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Temps de lecture   :  

3 minutes

Par La Presse Canadienne, 2024

MONTRÉAL — La Cour suprême établira une nouvelle jurisprudence en matière d’interpellations aléatoires. Le plus haut tribunal annonce ce jeudi qu’il entendra l’appel du gouvernement du Québec, qui a été débouté à deux reprises par les tribunaux inférieurs dans ce dossier.

C’est donc la Cour suprême qui déterminera finalement une fois pour toutes si les policiers ont le droit ou non de procéder à des interceptions aléatoires, une pratique que les tribunaux québécois ont interdite parce qu’elle conduit au profilage racial.

La décision du plus haut tribunal n’étonne guère puisque dans son jugement original d’octobre 2022, le juge Michel Yergeau, de la Cour supérieure du Québec, avait complètement renversé l’arrêt Ladouceur, une décision de 1990 de la Cour suprême qui avait légitimé les interceptions aléatoires et qui faisait jusque-là jurisprudence.

Une permission déjà fragile

Mais déjà, il y a 35 ans, le plus haut tribunal était profondément divisé sur le principe même de l’interpellation aléatoire, permettant la pratique dans une décision serrée à cinq contre quatre, les juges minoritaires estimant que cela portait atteinte aux droits garantis par la Charte des droits et libertés dans un dossier où la question du profilage racial n’était même pas abordée.

En renversant l’arrêt Ladouceur, la décision Yergeau et sa confirmation unanime par un banc de trois juges de la Cour d’appel venait ainsi rendre inopérant un article du Code de la sécurité routière qui donnait aux policiers le droit d’arrêter des automobilistes au hasard sans avoir de soupçon raisonnable qu’une infraction a été commise.

Le juge Michel Yergeau avait été appelé à se prononcer dans une cause initiée par un étudiant haïtien de 22 ans, Joseph-Christopher Luamba, qui avait été intercepté à trois reprises dans la même année sans aucune raison par un policier lui demandant de s’identifier, et qui contestait la validité de ces interceptions.

«Le profilage racial existe bel et bien»

Le magistrat avait conclu que «le profilage racial existe bel et bien. Ce n'est pas une abstraction construite en laboratoire. Ce n'est pas une vue de l'esprit. C'est une réalité qui pèse de tout son poids sur les collectivités noires. Elle se manifeste en particulier auprès des conducteurs noirs de véhicules automobiles.»

Ainsi, écrivait-il, «le pouvoir arbitraire reconnu aux policiers de procéder à des interceptions routières sans motif est devenu pour certains d'entre eux un vecteur, voire un sauf-conduit de profilage racial à l'encontre de la communauté noire. La règle de droit devient ainsi sans mot dire une brèche par laquelle s'engouffre cette forme sournoise du racisme.»

Tout en reconnaissant les multiples efforts des corps policiers, il estimait intolérable «qu'une partie de la population continue de souffrir en silence dans l'espoir qu'une règle de droit reçoive enfin de la part des services de police une application qui respecte les droits fondamentaux garantis par la Charte canadienne».

Le temps était donc venu, selon le juge Yergeau, «de déclarer que ce pouvoir non balisé viole certaines des garanties constitutionnelles des membres de cette communauté (noire) sans que cette violation soit justifiée». Pour lui, la règle formulée dans l'arrêt Ladouceur «est devenue obsolète et inopérante».

La Cour d'appel confirme

Intervenant à sa suite, la Cour d’appel a également statué que l’interpellation aléatoire violait les droits garantis par la Charte, notamment le droit de ne pas être détenu arbitrairement et le droit à l’égalité.

La décision de 2022 ne concernait que les contrôles aléatoires et non les opérations policières structurées, telles que les contrôles routiers visant à arrêter les conducteurs en état d’ébriété.

Le gouvernement provincial a fait appel de cette décision à chaque étape, échouant chaque fois. La décision de la Cour d’appel, rendue en octobre dernier, donnait au gouvernement provincial six mois pour apporter les modifications nécessaires au Code de la sécurité routière.

Québec s’était alors adressé à nouveau à la Cour d’appel pour suspendre l’application de la décision en attendant que la Cour suprême se prononce, ce que le tribunal a refusé à la fin du mois de mars dernier. Le ministère de la Sécurité publique n’a donc pas eu le choix que d’aviser les différents corps policiers à travers la province de suspendre les contrôles aléatoires.

Pierre Saint-Arnaud, La Presse Canadienne