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La Cour suprême doit décider si elle entendra une affaire climatique pionnière

durée 15h11
30 avril 2025
La Presse Canadienne, 2024
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Temps de lecture   :  

6 minutes

Par La Presse Canadienne, 2024

TORONTO — La Cour suprême du Canada doit décider si elle entendra les arguments d'une action en justice pionnière en matière de changements climatiques qui pourrait clarifier si les gouvernements sont constitutionnellement tenus de lutter contre les émissions responsables du réchauffement climatique.

La décision de jeudi pourrait ouvrir la voie à la Cour suprême du Canada dans une affaire où sept jeunes contestent l'objectif climatique abaissé de l'Ontario.

Le groupe a soutenu que l'objectif révisé engage la province dans des niveaux dangereusement élevés de gaz à effet de serre, compromettant ainsi leur droit à la vie et les obligeant à supporter le poids des impacts climatiques futurs.

Cette affaire est la première au Canada où un tribunal, lors d'une audience complète, a examiné si un plan climatique gouvernemental pouvait violer la Charte des droits et libertés.

L'Ontario a demandé à la Cour suprême du Canada de se prononcer sur l'affaire, affirmant qu'elle soulève des questions d'importance nationale quant à savoir si les gouvernements sont constitutionnellement tenus de lutter contre les changements climatiques.

Même si la Cour suprême décide de ne pas entendre l'affaire, les militants pour le climat verront leur contestation relancée par une nouvelle audience devant les tribunaux inférieurs.

Quel est l'enjeu ?

Les experts en droit affirment que cette affaire pourrait fondamentalement modifier la manière dont les gouvernements sont tenus responsables des changements climatiques.

Avant cette affaire, les tribunaux avaient rejeté des contestations citoyennes fondées sur la Charte concernant les cibles climatiques pour des motifs préliminaires, souvent parce qu'ils les jugeaient trop générales ou trop politiques. Malgré les tentatives de l'Ontario de faire rejeter cette affaire pour des motifs similaires, les sept jeunes gens ont marqué l'histoire.

Il s'agissait de la première affaire au Canada à examiner – lors d'une audience complète, avec une multitude de preuves d'experts sur les risques du réchauffement climatique – si le plan climatique d'un gouvernement pouvait réellement violer la Charte.

Voici une façon d'envisager la question, explique Stepan Wood, expert en droit climatique: il s'agit de savoir si les gouvernements peuvent choisir la cible qu'ils jugent politiquement opportune, ou si en choisir une qui ne correspond pas aux principes scientifiques reconnus revient à menacer la vie et à discriminer les jeunes.

«Cette affaire est vraiment importante pour la trajectoire que suit le Canada en matière de lutte contre les changements climatiques et pour déterminer si, en tant que pays, nous parviendrons ou non à éviter les conséquences les plus graves et les plus catastrophiques des changements climatiques dans un délai raisonnable, en particulier pour les jeunes», a expliqué Me Wood, titulaire de la Chaire de recherche du Canada en droit, société et développement durable à la faculté de droit Allard de l'Université de la Colombie-Britannique.

Quels sont les détails de l'affaire ?

En 2019, au plus fort de la vague d'activisme climatique menée par les jeunes, Sophia Mathur, 12 ans, et six autres jeunes se sont unis pour contester la cible d'émissions édulcorée de l'Ontario.

Le groupe allègue que cette cible engage la province dans des niveaux dangereusement élevés de gaz à effet de serre responsables du réchauffement climatique, ce qui compromet leur droit à la vie et constitue une discrimination à leur égard, en tant que jeunes qui subiront de plein fouet les conséquences climatiques futures.

L'Ontario a instauré une nouvelle cible d'émissions en 2018 après avoir abrogé la loi sur laquelle reposait son système de plafonnement et d'échange de droits d'émission. Elle a remplacé l'objectif prévu dans cette loi – 37 % sous les niveaux de 1990 d'ici 2030 – par un nouvel objectif de 30 % sous les niveaux de 2005.

Les jeunes ont apporté des preuves démontrant que l'objectif révisé pourrait entraîner 30 mégatonnes d'émissions annuelles supplémentaires, soit l'équivalent des émissions d'environ sept millions de voitures chaque année de 2018 à 2030.

Ils ont demandé au tribunal d'ordonner à l'Ontario de fixer un objectif scientifique cohérent avec ce qui serait nécessaire pour respecter les engagements internationaux du Canada en matière de climat.

La Cour supérieure de l'Ontario a convenu que l'objectif était «largement en deçà du consensus scientifique» sur ce qui serait suffisant. En ne prenant pas de mesures pour réduire davantage les gaz à effet de serre, l'Ontario contribuait à accroître le risque de décès auquel sont confrontés les jeunes, a déclaré la juge dans une décision rendue en 2023.

Le tribunal a également rejeté l'argument de la province selon lequel sa part des émissions mondiales était si faible qu'elle avait un impact négligeable. Cet argument pourrait s'appliquer à toutes les sources d'émissions individuelles d'une manière qui entraverait l'action collective et la résolution des problèmes mondiaux, selon la juge Marie-Andrée Vermette.

Qu'ont décidé les tribunaux ?

Le jugement initial a finalement porté sur une question au cœur de la théorie du droit constitutionnel et sur laquelle les tribunaux continuent de se pencher aujourd'hui: la Charte pourrait-elle obliger un gouvernement à agir pour préserver nos droits, ou l'empêche-t-elle simplement de les violer?

Reprenons la question, mais appliquée à cette affaire: l'objectif d'émissions du gouvernement mettait-il potentiellement la vie en danger, ou n'allait-il tout simplement pas assez loin pour la protéger?

Les avocats des militants pour le climat ont reconnu qu'il s'agissait d'une distinction délicate et ont tenté de faire valoir qu'il s'agissait de la première option, conformément aux arguments plus traditionnels fondés sur la Charte.

Mais Mme Vermette, la juge de première instance, s'est plutôt rangée du côté de l'Ontario. La décision suggérait que les jeunes tentaient d'imposer à la province une obligation «autonome» de lutter contre les changements climatiques. Selon le jugement, l'objectif n'a pas augmenté les émissions, mais n'a prétendument pas suffi à les réduire.

Les jeunes ont interjeté appel devant la plus haute cour de l'Ontario et ont eu gain de cause.

La Cour d'appel de l'Ontario a souscrit à la présentation de l'affaire par les jeunes: le gouvernement avait volontairement choisi de lutter contre les changements climatiques et devait le faire d'une manière qui ne contrevenait pas à la Charte.

Considérant ce nouveau cadre, la Cour a renvoyé l'affaire à la juge Vermette pour une nouvelle audience. Mais l'Ontario a plutôt décidé de demander à la plus haute cour du Canada de se prononcer.

Dans les documents déposés au tribunal, l'Ontario affirme que l'affaire soulève trois questions urgentes: le gouvernement a-t-il l'obligation constitutionnelle de lutter contre les changements climatiques? La Charte exige-t-elle qu'une cible gouvernementale soit fixée à une norme minimale? Exige-t-elle que le gouvernement suive un processus particulier pour établir cette norme?

Stepan Wood, l'expert juridique de l'Université de Colombie-Britannique, affirme que si la Cour suprême devait décider de ne pas entendre l'affaire, cela pourrait être un signal positif pour les chances des militants. L'affaire serait renvoyée devant le juge de première instance, la décision favorable de la Cour d'appel faisant jurisprudence.

En revanche, renvoyer l'affaire devant les tribunaux inférieurs pour qu'elle puisse éventuellement se retrouver devant la Cour suprême plus tard pourrait signifier plus de temps perdu sans directives claires de la part des tribunaux, a analysé Nathalie Chalifour, professeure de droit à l'Université d'Ottawa.

«Chaque année qui passe, l'urgence climatique s'aggrave et nous excluons des options, nous risquons de franchir des points de bascule irréversibles à l'échelle humaine», a exposé Mme Chalifour, qui était également avocate d'un intervenant, le groupe environnemental Les Amis de la Terre, lorsque l'affaire a été portée devant la Cour d'appel de l'Ontario.

«Plus tôt nous entendrons ces affaires, mieux ce sera», a-t-elle ajouté.

Y a-t-il d'autres affaires similaires à celle-ci?

Les litiges climatiques ont explosé dans le monde ces dernières années, a noté Nathalie Chalifour. «Et nous constatons que le Canada devient de plus en plus une exception.»

Les tribunaux d'autres pays ont été plus prompts à traiter les affaires climatiques, selon elle.

Le plus haut tribunal des Pays-Bas a statué en 2019 que le gouvernement avait le devoir de protéger les citoyens contre les effets potentiellement dévastateurs du changement climatique. L'année dernière, un groupe de femmes âgées suisses a obtenu gain de cause devant la Cour européenne des droits de l'homme, qui a jugé que le gouvernement avait manqué à son obligation de lutter contre le changement climatique et d'atteindre les objectifs d'émissions.

Au Canada, une autre affaire majeure est en cours d'examen devant les tribunaux, parallèlement à la contestation ontarienne. Cette affaire, connue sous le nom de La Rose, conteste les mesures climatiques du gouvernement fédéral.

Catherine Boies Parker, avocate dans cette affaire, a déclaré qu'elle suivrait de près l'évolution de la situation pour voir si la Cour suprême se prononcera sur l'affaire ontarienne.

«Je pense que ces affaires internationales sont intéressantes et utiles, même si elles peuvent s'appuyer sur un cadre différent. Je pense que certains principes seront transposables au contexte canadien, a soutenu Me Boies Parker. La question est de savoir si le gouvernement agit de manière à protéger la liberté la plus fondamentale des citoyens, celle de vivre dans un environnement propice à leur survie.»

Jordan Omstead, La Presse Canadienne