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Le documentaire «A Quiet Girl» s'attarde à l'adoption à Terre-Neuve-et-Labrador

durée 14h06
10 décembre 2023
La Presse Canadienne, 2023
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Temps de lecture   :  

4 minutes

Par La Presse Canadienne, 2023

SAINT-JEAN, T.-N.-L. — Dans un théâtre de St. John, à Terre-Neuve-et-Labrador, un murmure se propage dans le public alors que les gens lèvent timidement la main. On leur a demandé s'ils voyaient leurs propres histoires reflétées dans le film qu'ils venaient de regarder – «A Quiet Girl».

Le documentaire de l'Office national du film (ONF) du réalisateur montréalais Adrian Wills le suit alors qu'il recherche sa mère biologique dans sa province natale de Terre-Neuve-et-Labrador. Chaque pas qui le rapproche de sa mère le plonge plus profondément dans l'histoire de l'adoption dans la province, où de nombreuses femmes enceintes célibataires dans des villes profondément chrétiennes ont abandonné leurs bébés pour qu'ils soient élevés par quelqu'un d'autre.

«Ce que les gens nous ont dit par la suite, c'est : "Mon Dieu, c'est l'histoire de mon cousin, c'est l'histoire de ma sœur, c'est notre histoire"», a déclaré M. Wills, dans une récente entrevue après les projections dans le centre de Terre-Neuve. 

«C'était vraiment émouvant... tellement de gens veulent vous raconter leur histoire.»

De nombreuses autres histoires de ce type doivent être racontées, a soutenu Anne Sheldon, qui est responsable d'un groupe Facebook appelé «Newfoundland and Labrador Adoptees». Chaque mois, de nombreux nouveaux messages sont publiés par des personnes adoptées nées dans les années 50, 60 et 70, à la recherche des membres de leur famille biologique à Terre-Neuve. Le groupe compte plus de 14 000 membres.

L'histoire douloureuse de l'adoption dans la province a été largement gardée dans l'ignorance, a-t-elle affirmé. Elle espère que le film de M. Wills contribuera à changer cela.

Dans «A Quiet Girl», M. Wills apprend que sa mère biologique est tombée enceinte de lui quand elle avait 18 ans, en 1972. Sa famille à l'époque était pauvre et pieuse. Elle lui a donné naissance dans un hôpital de St. John.

«Je suis allée la voir et elle était allongée sur le côté et elle regardait juste le mur, lui raconte Ellen, sa tante biologique, dans le film. Je suis allée à la crèche et j'ai demandé à voir (son bébé). Et l'infirmière est venue et elle a dit : "Je suis désolée, vous ne pouvez pas voir ce bébé".»

Jean Ann Farrell, coordonnatrice des Services d'adoption de Terre-Neuve dans les années 1970, lui raconte qu'à tout moment, il y avait «des centaines de bébés» disponibles à adopter dans la province. Le gouvernement provincial a même fait de la publicité pour les bébés dans les journaux.

Mme Sheldon, 53 ans, a été adoptée à Corner Brook, à Terre-Neuve, lorsqu'elle avait trois mois. Sa mère biologique vivait à environ 180 kilomètres de là, à Springdale, à Terre-Neuve, qui, à l'époque, était une «ville très pentecôtiste», a-t-elle déclaré.

«Je ne veux pas paraître dure, mais ils méprisaient énormément les mères célibataires. Vous étiez plus ou moins rejetées, a-t-elle raconté. C'est pourquoi elle a dû quitter Springdale et aller à Corner Brook et m'accoucher en secret, puis revenir.»

Un phénomène pancanadien

Des histoires similaires se sont produites partout au Canada, en nombre stupéfiant, selon Valerie Andrews, directrice générale d'Origins Canada, une organisation à but non lucratif basée en Ontario qui soutient les familles séparées par l'adoption. Elle est également étudiante au doctorat en études des femmes à l'Université de York et autrice du livre «White Unwed Mother: The Adoption Mandate in Postwar Canada» (La mère blanche non mariée : Le mandat d'adoption dans le Canada d'après-guerre).

Elle a examiné les données sur l'adoption à travers le pays, documentant la période allant des années 1940 aux années 1970, et elle estime qu'au moins 300 000 bébés ont été donnés en adoption au cours de cette période, souvent sous d'intenses pressions sociétales et religieuses.

On ne sait pas exactement combien, le cas échéant, des quelque 20 000 enfants retirés à des mères autochtones lors de la rafle des années 1960 sont inclus dans ce chiffre, car les différentes provinces ont des statistiques d'adoption très différentes, a-t-elle précisé.

De nombreuses mères célibataires ont été secrètement emmenées dans des dizaines de «maternités» gérées par l’Église où elles vivaient jusqu’à la naissance de leur bébé. Elles abandonnaient leurs bébés et rentraient chez elle, puis on leur disait de ne plus jamais parler de leur enfant ni d'y penser.

Mme Andrews elle-même est tombée enceinte à 16 ans et s'est rendue dans une maternité à Toronto en 1969. Elle a retrouvé son fils trois décennies plus tard.

«De nombreuses femmes souffrent aujourd'hui dans la douleur et dans le secret, a-t-elle affirmé dans une entrevue. Elles sont incapables de dire à leur famille qu'elles ont ce bébé. Peut-être que vous êtes mariée à un homme depuis 60 ans, vous n'allez pas lui dire maintenant : "Oh, au fait".»

Cette douleur éclaire l'approche de Mme Sheldon envers son groupe Facebook, où elle insiste sur le fait que les gens recherchent leur famille avec compassion et attention.

Elle a dit que «A Quiet Girl» avait cette compassion. Ce documentaire aidera les gens à comprendre la complexité de l'adoption pour la mère et l'enfant, et cela aidera les familles séparées par l'adoption à mieux se comprendre, a-t-elle soutenu.

L'ONF a déclaré que le film devrait sortir sur son site web au début de 2024.

Lors de la projection à St. John, le public a applaudi chaleureusement lorsque M. Wills a déclaré qu'il avait trouvé son appartenance à la famille de sa mère biologique et en tant que Terre-Neuvien.

«Il y a ce sentiment que lorsque les gens sont adoptés, ils sont censés vivre leur vie comme si cela ne s'était pas produit, a-t-il affirmé. Cela montre qu'il y a tellement plus de complexité dans cette situation... qu'on ne peut pas simplement passer à autre chose et agir comme si cela n'avait pas été une expérience énorme pour toutes les personnes impliquées.»

Sarah Smellie, La Presse Canadienne