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Le rédacteur en chef du Monde diplomatique s'interroge sur l'avenir des médias

durée 17h42
3 mars 2024
La Presse Canadienne, 2024
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Temps de lecture   :  

4 minutes

Par La Presse Canadienne, 2024

MONTRÉAL — Les médias ont encore un avenir, mais lequel, se demande le rédacteur en chef de la revue «Le Monde diplomatique», Benoît Bréville qui était de passage dimanche à Montréal.

Le journaliste français — qui a étudié l’histoire à l’UQAM — a animé une table ronde en compagnie d’Éric-Pierre Champagne, président de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec, sur l’avenir des médias. Et leur analyse de la situation est peu réjouissante.

Le paysage médiatique québécois et mondial se voit ballotté depuis quelques années en tous sens, les pieds pris dans le tapis d’une crise aux multiples visages. De ce côté-ci de l’océan, le bras de fer avec les GAFAM a révélé une dépendance croissante des médias canadiens et québécois à ces plateformes qui servaient de relais aux articles et reportages. Le temps a montré que les médias avaient plus besoin des grandes entreprises de la Silicon Valley que l’inverse.

Outre-Atlantique, un autre problème assombrit dernièrement l'horizon. L’actualité qui agite le Proche-Orient depuis quelques mois révèle une partialité des médias de nos cousins français, autre visage de la crise des fournisseurs de contenu. Tout est lié par un problème de fond, l’éléphant dans la pièce qui revient toujours: l’argent.

«Les 15 dernières années ont installé de mauvaises pratiques chez les lecteurs, notamment celle de l’information gratuite, et des mauvaises pratiques chez les journaux, qui se sont mis à produire de l’information au rabais», a avancé M. Bréville.

Chronique ou article?

«D’une certaine manière, le Québec préfigure de ce que peuvent devenir des médias avec très peu de moyens (...) et on peut voir qu'il y a une gradation dans la dégradation», observe le journaliste français à La Presse Canadienne.

M. Bréville dit constater «comment le manque de moyen peut diminuer la qualité de l’information». Ce qu’il voit de plus en plus, à son grand regret, c’est ce qu’il appelle du «commentaire de l’actualité», de la tribune. En d’autres termes, des textes qui ne produisent pas de l’information nouvelle, ne sont pas nécessairement écrits par des journalistes, ni pour autant par des experts de la question, qui ne nécessitera pas une sortie sur le terrain et surtout, qui ne coûtera pas cher à produire.

C’est le modèle américain et ses chaînes d’information en continu qui ont gagné les petits écrans du monde entier. Une conception de l’information comme un produit qui doit être rentable et non comme un service indispensable, explique-t-il.

À ce sujet, Éric-Pierre Champagne ajoute un souci relatif, non pas aux coûts, mais au public. Celui-ci, explique-t-il, ne voit pas forcément la différence entre les différents contenus, dont la frontière visuelle arbore un marquage bien flou, et fait l’amalgame entre un article journalistique et une chronique, entre des faits et une opinion. «C’est une autre couche de confusion. Je pense qu’on surestime la capacité du public. La différence n’est pas aussi claire qu’on le pense.»

Journalisme à deux vitesses

À cette confusion, en place depuis déjà longtemps, s’ajoute depuis plus récemment celle des créations de l’IA.

Il y a, certes, encore de la marge avant de lire un reportage de ChatGPT sur la question du logement dans les pages du «Devoir» ou du «Journal de Montréal», mais son apparition dans les rédactions renforce la spirale de la réduction des coûts de production de l’information. Plus besoin, un jour, d’humains pour reprendre une dépêche d’agence ou pour commenter un match, l’IA le fera toujours plus rapidement que son prédécesseur de chair et de sang et pour un coût dérisoire.

Éric-Pierre Champagne et Benoît Bréville entrevoient un futur avec un journalisme à deux vitesses: d’un côté, les informations à bas coût produites par les IA, et de l’autre les informations, plus rares, fournies par de grands reporters, des journalistes de terrain, mais qui sont trop chères à produire pour être accessibles à toutes les franges de la population.

Tout ça s’inscrit dans un cercle vicieux lancé avec les premiers sites internet d’information, explique le rédacteur en chef du «Monde diplomatique». Les médias ont proposé de l’information gratuite en ligne en pensant jouer sur un effet de marque qui inciterait le public à acheter ensuite leur journal dans les stands.

Cependant, ajoute-t-il, le public a pris goût à la gratuité et, en toute logique, est de moins en moins enclin à payer pour obtenir de l’information, faisant baisser les revenus des médias. C'est ce qui explique, dit-il, l’apparition de murs payants sur les sites de journaux. Mais pour survivre à cette baisse de revenus, les médias ont dû réduire leurs frais, engendrant de «l’information au rabais» dont la valeur ajoutée n’incite guère à payer pour l’obtenir.

«[L'information] qui aide le public à mieux comprendre un monde de plus en plus complexe, pointe M. Champagne. C'est celle qui coûte le plus cher.»

Il faut donc réinvestir massivement dans l’information, concluent les deux journalistes, et produire de l’information de qualité, avec une haute valeur ajoutée qui saura redonner au public la confiance qu’il a perdue dans les médias.

Une vaste tâche étant donné le niveau de confiance actuel. Selon le dernier sondage en la matière du Reuters Institute for Study of Journalism, le degré de confiance des Québécois dans leurs médias est de l’ordre de 54%. Un taux à peine au-dessus de la moyenne qui est pourtant le plus élevé des 46 pays sondés.

Ironiquement, les deux hommes voient dans cette perte de confiance un aspect positif. «Parce que ça veut dire que les gens remettent en question l’information, s’amuse Benoît Bréville. Ils exercent leur esprit critique.»

Caroline Chatelard, La Presse Canadienne