Minéraux critiques: plusieurs milliards sont en jeu pour le Canada


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Par La Presse Canadienne, 2024
MONTRÉAL — Si le Canada veut occuper une place de choix dans la course aux minéraux critiques, il doit réduire les risques liés aux investissements, mais aussi réussir ce qui peut paraître, à première vue, paradoxal: raccourcir les échéances des projets, sans compromettre les droits autochtones et les protections environnementales. Ce sont là des éléments importants qui ressortent du rapport «Trajectoire critique», un document de 170 pages publié jeudi par l’Institut climatique du Canada.
Partout dans le monde, la course aux minéraux critiques s’intensifie.
Ces ressources sont utilisées dans les technologies de pointe de l’aérospatial et de la défense, dans la fabrication de toutes sortes d’appareils informatiques qui utilisent des semi-conducteurs, mais aussi, évidemment, dans la production et le stockage d’énergie renouvelable.
Le Canada possède d’importants gisements de cobalt, de graphite, de lithium, de nickel, de cuivre et d’éléments des terres rares, et ces minéraux critiques représentent «un potentiel de croissance énorme» pour le pays, selon le rapport publié jeudi.
Grâce à ses gisements, le Canada pourrait, selon le rapport de l’Institut climatique du Canada, non seulement subvenir à ses besoins, mais aussi aider des alliés, comme les pays européens ou les États-Unis, «à sécuriser leurs chaînes d’approvisionnement et à devenir moins dépendants de quelques gros fournisseurs comme la Chine, qui est de loin la plus grande productrice mondiale de minéraux critiques de nos jours».
Toutefois, les défis sont nombreux pour le Canada, s’il veut parvenir à devenir un joueur important dans l’extraction et la transformation de ces minéraux sur lesquels repose la transition énergétique.
Des investissements qui ne suivent pas la demande
Les projections du rapport montrent que la demande nationale du Canada devrait dépasser 16 milliards $ par an d’ici 2040.
Cette hausse serait «largement attribuable à l’industrie émergente de la fabrication de batteries, qui a récemment attiré des milliards en investissements privés et publics».
Mais actuellement, les investissements en amont dans l’extraction de minéraux critiques ne suivent pas l’augmentation de la demande nationale et «le Canada pourrait laisser filer un manque à gagner de 12 milliards de dollars par an d’ici 2040, rien que pour répondre à la demande nationale», selon l’institut.
«Selon nos estimations, le Canada a besoin d'investissements de 30 à 65 milliards de dollars dans les projets miniers en amont d'ici 2040», s’il veut profiter du potentiel de ses minéraux critiques, a indiqué Marisa Beck, directrice de recherche à l'Institut climatique du Canada, lors d'un breffage technique destiné aux médias.
«Compte tenu de la capacité de production moyenne, il faudrait donc créer plus d’une trentaine de nouvelles mines sur le même horizon de temps», peut-on lire dans le rapport.
«Le Canada est devant une occasion en or de mettre à profit ses réserves de minéraux critiques, qui sont essentiels dans une économie à faibles émissions. Le rapport démontre sans aucun doute l’importance de faciliter le financement des projets miniers, pour que cet avenir devienne une réalité», a écrit pour sa part John Stackhouse, premier vice-président de la Banque Royale du Canada, dans un communiqué qui accompagnait la sortie du document.
Des risques importants
Même si le potentiel de croissance de la demande des minéraux critiques est important, les chercheurs soulignent que le «risque financier demeure majeur pour les investisseurs», en raison des prix parfois hautement volatils d’un marché contrôlé par quelques grands joueurs, surtout chinois.
Pour rassurer les investisseurs, les gouvernements du Canada devraient «partager les risques au moyen de programmes et de politiques ciblés, tels que des participations au capital, des accords d’exploitation ou des contrats sur différence».
Le rapport avance que prendre une participation en capital demeure «la façon la plus directe pour un investisseur du secteur public de partager les risques financiers d’une mine» et qu’en devenant actionnaires, «les gouvernements peuvent injecter un financement à long terme, ce que les marchés privés offrent rarement, et partager à la fois les risques de pertes, mais aussi le potentiel de profits malgré de longs délais de rentabilisation».
Si ces contrats de partage de risque sont bien ficelés, ils représentent une option financière plus prudente que les programmes de subventions, selon les auteurs du rapport, «puisque le gouvernement est là uniquement comme filet de sécurité, ce qui facilite aussi l’accès des projets à des capitaux privés».
Ces contrats, souligne-t-on, devraient être temporaires, «en attendant la maturation et la stabilisation des marchés».
Simplifier et accélérer les processus d’évaluation
En plus des risques financiers pour les investisseurs, l'étude fait valoir que deux autres types de risques ralentissent les investissements dans les nouveaux projets de minéraux critiques: les risques environnementaux pour les communautés locales et les risques pour les communautés autochtones, car la vaste majorité des gisements se trouvent près de communautés autochtones.
Les longs délais d’examen et d’approbation des projets sont «un problème bien connu pour les investisseurs des secteurs miniers» et «comme il urge de développer rapidement les minéraux critiques, il y a un risque que les gouvernements, dans leur empressement, éliminent les mauvaises étapes et empirent accidentellement le problème».
Le rapport de l’Institut souligne que «l’accélération de l’approbation des projets au détriment de l’établissement de relations de confiance positives avec les communautés autochtones et locales» peut «facilement mal tourner» et avoir un effet contraire à ce qui est espéré en provoquant des délais plus longs.
Bien souvent, les conflits avec les communautés locales se traduisent en coûts pour la société qui exploite les gisements.
Renforcer la réglementation minière pour réduire les risques environnementaux permet également une meilleure collaboration avec les communautés qui accueillent les projets, soulignent les chercheurs.
«Un partenariat autochtone solide et une bonne gestion des risques environnementaux sont plus susceptibles d’être rentables et de contribuer à la croissance du secteur des minéraux critiques au Canada», peut-on lire dans le rapport.
Évaluer les projets à l’échelle régionale
L’Institut climatique du Canada recommande aux gouvernements de simplifier et d’accélérer les processus d’évaluation des projets en réduisant les inefficacités.
Évaluer plusieurs projets et leurs impacts sur les écosystèmes et les droits autochtones à l’échelle locale, plutôt qu’effectuer des évaluations par projets, serait une façon d’y parvenir, selon le rapport de l’Institut.
«Les approches régionales permettent de mieux prendre en compte les effets cumulatifs de l’industrie minière dans une région et d’en orienter la gestion», selon les auteurs du rapport, qui indiquent que «l’accès à ces renseignements tôt dans le projet peut accélérer l’évaluation réglementaire des propositions individuelles et aider les sociétés minières à préparer des propositions ayant de meilleures chances d’être approuvées».
Ce type d’approche aiderait les promoteurs à connaître à l’avance les emplacements où les projets sont possibles et sous quelles conditions.
Il y a de plus en plus de communautés autochtones à travers le pays qui dirigent des processus de planification régionale et plusieurs communautés ont des plans d’utilisation du territoire.
Par exemple, soulignent les auteurs du rapport, une entreprise qui souhaite s’implanter sur le territoire des Gitanyow en Colombie-Britannique peut consulter le plan d’utilisation réalisé par la communauté, et évaluer les différentes possibilités, avant même de préparer une proposition de projet.
«Tous les projets de croissance propre seront menés sur des terres visées par un traité, des régions faisant l’objet d’une revendication territoriale, des territoires traditionnels ou des zones proches de communautés autochtones. Ce moment unique peut servir à réitérer les droits territoriaux et à l’autodétermination, ce qui favorisera des partenariats sincères entre les nations autochtones, les entreprises et le gouvernement», a écrit JP Gladu, fondateur et dirigeant de Mokwateh, un cabinet de conseil spécialisé dans les grands projets et qui est dirigé par des Autochtones.
Le rapport de 170 pages publié jeudi s’appuie sur «plusieurs sources de données, dont des entrevues avec des experts, une analyse quantitative du marché, un sondage en ligne» et sur un examen de documents universitaires et non universitaires.
L’Institut climatique du Canada, qui est financé par le gouvernement et des bailleurs de fonds philanthropiques, se décrit comme «l’organisme par excellence au pays pour la recherche sur les politiques climatiques».
Stéphane Blais, La Presse Canadienne