Procès Rozon: Dominic Champagne espère que justice soit rendue de façon satisfaisante


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Par La Presse Canadienne, 2025
MONTRÉAL — Le metteur en scène Dominic Champagne était un spectateur attentif, mardi, au procès de Gilbert Rozon, sa belle-fille, Me Jessica Lelièvre, étant appelée à son tour à contre-interroger le magnat déchu de l’humour.
Gilbert Rozon subit un procès civil dans lequel il est poursuivi par neuf femmes lui réclamant un total de près de 14 millions $ pour des agressions sexuelles qu’elles allèguent avoir subies de sa part.
Dominic Champagne, qui s’est adressé aux médias lors d’une pause, a déclaré qu’«il faut que le rapport entre les hommes et les femmes et la justice soit meilleur que celui qu’il est présentement. Puis souhaitons donc que la justice soit rendue de façon satisfaisante pour qu'on puisse se dire: voilà où nous en sommes les hommes, les femmes et notre société par rapport à la justice et voilà ce que nous voulons. S'il y a des choses à changer dans nos comportements, tant dans la rédaction de nos lois que dans nos comportements, mais parlons-en puis faisons-le».
Parlant du procès lui-même, il a dit espérer «que la justice va être probante, convaincante et satisfaisante pour tout le monde pour qu'on puisse se dire: 'mais voici où on en est comme société, comme culture'».
«Surréaliste de tous points de vue»
Pendant ce temps, en salle, Gilbert Rozon a de nouveau qualifié de «surréaliste de tous points de vue» les allégations de Mary Sicari, qui dit avoir été victime d’attouchements et de harcèlement sexuel durant les nombreuses années où elle travaillait à Juste pour rire. Dans un bureau à aire ouverte «qui était une ruche», selon son expression, de tels gestes n’auraient pu passer inaperçus.
Les deux avaient une relation «strictement professionnelle», a-t-il répété, ajoutant que «non seulement je n’étais pas attiré (par elle), mais je n’ai jamais senti qu’elle était attirée par moi».
L’avocat Bruce Johnston, qui était à terminer sa portion de contre-interrogatoire, lui a rappelé qu’il avait ajouté «à son grand dam, peut-être», lorsqu’il avait initialement témoigné, qu’il n’était pas attiré par elle. Gilbert Rozon a réagi en affirmant que «quand vous êtes connu, littéralement, les femmes courent après toi, pour la célébrité, le prestige, je ne sais pas. Quand t’es connu les gens veulent s’offrir ta tête sur un plateau d’argent».
Me Johnston est aussi revenu sur le dossier d’Annick Charrette, cherchant à soulever des contradictions dans son témoignage. Là où Mme Charrette affirme s’être réveillée avec Gilbert Rozon qui la chevauchait après qu’elle eut dormi à la résidence d’une collègue de M. Rozon, lui maintient une version miroir selon laquelle il s’est réveillé avec elle le chevauchant et se faisant l’amour en l’utilisant pour se stimuler.
«Pour me piéger»
«C’est elle qui vous a agressé?» lui a demandé Me Johnston. «Absolument, mais je n’ai pas porté plainte», a affirmé le témoin. Me Johnston a cherché à le contredire sur le moment de cet événement, qui serait produit en juin 1980 selon la plaignante, ce qui serait impossible selon Gilbert Rozon parce qu’il était alors en pleine préparation de son premier festival, la Grande virée de Lachute. Celui-ci n’a pas caché son exaspération: «La façon dont vous tournez les questions, c’est évidemment pour me piéger», s’est-il exclamé.
Prenant le relais après la pause, Me Lelièvre est revenue sur l’agression alléguée par Danie Frenette, qui affirme que Gilbert Rozon l’aurait violée sur son terrain à Outremont dans un espace protégé par de la végétation, lors d’une fête en 1988.
Gilbert Rozon a toujours nié avoir pu agir de la sorte parce que son terrain ne comprenait à l’époque ni le boisé, ni les buissons auxquels Mme Frenette fait référence. «Le terrain est gazonné, à la vue de tous. Faire l’amour en plein jour, avec ma femme sur place? Il faut imaginer une scène aussi folle de me mettre nu et faire l’amour devant ma femme», a-t-il lancé.
Vidéos et photos mises en preuve
Gilbert Rozon affirme n’avoir aucune photo de son terrain à cette époque, mais Me Lelièvre a produit une vidéo tournée vers 1994 à son domicile, une entrevue humoristique menée par le personnage de Jacques Chevalier de Longueuil qui est incluse sur un DVD intitulé «Les grands moments de Juste pour rire, Volume 1». Me Lelièvre a fait jouer la vidéo, qui a beaucoup fait sourire le témoin.
Mais en lui montrant une capture d’écran où l’on voit des arbres, Gilbert Rozon a refusé d'admettre qu’ils étaient «matures». Il a également rejeté la possibilité que des ombres venant d’autres feuillus puissent être produites par des buissons.
Produisant d’autres photos de famille, datant celles-là de 1998 ou 1999, il a dû reconnaître qu’il y avait là un grand sapin, mais quand l'avocate lui a demandé s’il voyait aussi le gros buisson derrière les personnes sur la photo, il a répondu: «Qu’est-ce que vous appelez un buisson?»
«Pour moi, c’est comme un arbuste décoratif de quatre, cinq, peut-être six pieds de haut», a-t-il fini par concéder. L’avocate de Gilbert Rozon, Me Mélanie Morin, a remis en question la pertinence de ces photos puisqu’elles datent d’au moins 10 ans après les faits évoqués par Danie Frenette.
Le contre-interrogatoire de M. Rozon devait se poursuivre en après-midi.
Une longue saga judiciaiire
Les neuf poursuivantes sont Patricia Tulasne, Lyne Charlebois, Anne-Marie Charrette, Annick Charrette, Sophie Moreau, Danie Frenette, Guylaine Courcelles, Mary Sicari et Martine Roy. Une première demande d’autorisation d’action collective contre l’homme d’affaires, déposée en 2017 par un groupe de femmes surnommé Les Courageuses, fut d’abord accueillie en première instance en 2018 puis rejetée en appel en 2020.
Parallèlement, 14 femmes avaient porté plainte à la police, mais le Directeur des poursuites criminelles et pénales n’avait retenu que celle d’Annick Charrette. Gilbert Rozon a été acquitté en 2020 sur la base du doute raisonnable.
Patricia Tulasne, qui agissait comme porte-parole des Courageuses, a été la première à déposer une poursuite civile contre M. Rozon en avril 2021. Les huit autres femmes ont suivi et l’ensemble des poursuites ont été regroupées pour mener au procès qui s’est ouvert en décembre dernier et qui a été interrompu à maintes reprises en raison de débats sur des questions de droit.
Pierre Saint-Arnaud, La Presse Canadienne