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Selon l'auteure de «Il pleuvait des oiseaux», les commandites de Glencore sont un dû

durée 06h00
14 septembre 2022
La Presse Canadienne, 2022
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Par La Presse Canadienne, 2022

MONTRÉAL — L’auteure rouynorandienne Jocelyne Saucier s’inscrit en faux contre la lettre ouverte signée par quelque 70 citoyens, artistes et militants écologistes de Rouyn-Noranda et d’ailleurs qui demandent aux organismes culturels de refuser les commandites de Glencore, propriétaire de la fonderie Horne.

Dans une «Lettre ouverte à qui veut bien» publiée sur le site du Conseil de la culture de l’Abitibi-Témiscamingue, l’auteure de «Il pleuvait des oiseaux» affirme au contraire que le milieu culturel doit réclamer haut et fort l’argent de la multinationale «car cet argent leur est dû», affirme-t-elle avec force.

Dans sa lettre intitulée «Le droit de parole n'est pas monnayable», Mme Saucier rappelle que l’argent de Glencore «vient de la sueur de nos pères et grands-pères. Ce sont eux qui se sont enfoncés dans les galeries de la mine Noranda, ce sont eux qui ont construit la fonderie Horne. Certains y ont laissé leur santé, leurs poumons, leur vie.»

«Le droit de parole est inaliénable»

«Les festivals et organismes culturels ne doivent pas renoncer au financement qui leur vient de Glencore non plus qu’à leur droit de parole», poursuit-elle en réaffirmant que «le droit de parole est inaliénable dans notre libre société démocratique. On ne doit surtout pas le monnayer.»

Rejointe par La Presse Canadienne, Mme Saucier a fait valoir que, depuis une vingtaine d’années, «les commandites font partie de la structure de financement de tous les organismes culturels, sportifs, communautaires. Ils en ont besoin et c'est la charge sociale des entreprises privées, principalement Glencore, c'est leur devoir social de contribuer au milieu.»

Surtout, ajoute-t-elle, que les gouvernements demandent du financement privé pour subventionner à leur tour.

Ne pas culpabiliser les artistes

«Je ne crois pas qu'on doive culpabiliser les artistes, les organismes culturels d'accepter le financement. On ne doit pas leur demander de refuser le financement, mais on doit leur demander, en tant que citoyens, de se prononcer.

«On ne doit pas, parce qu'on reçoit de l'argent d'une compagnie, se museler, s'autocensurer parce que c'est une position très humiliante», laisse-t-elle tomber au bout du fil.

«Si la Chambre de commerce est capable de se prononcer, un festival culturel est capable de se prononcer, poursuit-elle. Il ne faut pas renoncer à son droit et à son devoir d'agir. C'est une question de solidarité.»

C’est cet appel à la solidarité, d’ailleurs, qui l’amène à rejeter fermement les craintes d’autocensure et la peur de représailles évoquées dans la lettre ouverte, publiée le 8 septembre dernier dans le quotidien Le Devoir: «Si le FME (Festival de musique émergente) se prononce, si ensuite le Festival du cinéma (international en Abitibi-Témiscamingue), il y a un effet d'entraînement. S'ils le font tous, un après l'autre, qu'il y a une chaîne de solidarité des organismes culturels, c'est sûr qu'à un moment donné, Glencore n'aura pas le choix de ne pas lier le financement au droit de parole.»

À la norme québécoise

Dans sa lettre ouverte, l’appel de Jocelyne Saucier est poignant: «Il faut se lever, réclamer, exiger que Glencore procède dans les plus brefs délais à la réduction des émissions d’arsenic à la norme québécoise, soit 3 ng/m3».

La fonderie Horne émet présentement 100 ng/m3, soit 33 fois la norme, et s'est récemment engagée à atteindre 15 ng/m3 d'ici cinq ans.

Elle y souligne qu’elle habite à Rouyn-Noranda «depuis très longtemps» et qu’elle a vu cette ville «aplatie sous l’autorité de Noranda Mines se lever plusieurs fois dans des luttes syndicales et environnementales pour exiger de meilleures conditions de travail et de vie. J’ai vu cette ville laide sortir de la garnotte et de la grisaille, je l’ai vue verdir, fleurir, j’ai vu apparaître le parc botanique À fleur d’eau, le parc Tremoy, j’ai vu naître et grandir des festivals culturels, j’ai vu au cœur de chacun d’entre nous une grande fierté d’appartenance à cette ville. Nous étions fiers de nos parcs, de nos rues piétonnes, de notre vitalité culturelle chantée un peu partout au Québec.»

Une fierté affectée

Or, poursuit-elle, cette fierté en a encaissé un coup depuis les révélations sur la pollution au plomb, au cadmium et à l’arsenic «au point où nous mourons de cancers de poumon et de maladies respiratoires plus qu’ailleurs. Nous apprenons que cette situation était connue et tolérée depuis 40 ans par le gouvernement du Québec et bien évidemment par la multinationale multimilliardaire qui en est la cause.»

«Nous ne sommes pas fiers d’habiter dans la ville la plus polluée au pays», écrit-elle, d’où son appel à la dénonciation publique.

Au téléphone, elle dit n’avoir consulté personne avant de publier cette lettre et n’avoir aucune idée de comment elle sera reçue dans le milieu culturel régional. Elle est par contre très consciente du malaise que sa lettre et celle du Devoir peut causer dans le milieu, tout comme elle est consciente du malaise que représente l’argent de Glencore: «Bien sûr. C'est toute l'histoire de cette ville.»

Mais elle n’en démord pas: «Cet argent est quand même dû à la communauté», martèle-t-elle.

Un chantage devenu caduc

Elle ajoute que la pénurie de main-d’œuvre vient enlever à Glencore son plus important argument, soit la nécessité de maintenir les quelque 650 emplois coûte que coûte, puisque ces travailleurs n’auraient aucun mal à se trouver d’autres très bons emplois. «C'est sûr que ce chantage-là n'est plus possible», dit-elle, ajoutant qu’à défaut de faire le ménage de ses activités, Glencore aggrave la pénurie de main-d’œuvre.

«Ce n'est pas pour rien que la Chambre de commerce est intervenue. C'est parce que l'on craint pour l’attractivité de la ville. On a besoin non seulement de mineurs, mais aussi d'enseignants, de médecins, d'infirmières. On craint que les gens ne veuillent plus venir travailler à Rouyn-Noranda parce que c'est une ville polluée.»

Jocelyne Saucier conclut l’entretien par cet exemple très personnel: «Ma fille, avec ses deux enfants, elle a acheté une maison il y a trois ans. Elle sait qu'elle ne peut pas vendre sa maison maintenant. Ils sont tous dans ce cas-là. Ils veulent tous partir de là, mais où aller et partir avec quoi? Leur maison vaut combien maintenant?»

Pierre Saint-Arnaud, La Presse Canadienne