Un chercheur montréalais prend des images des premiers instants du parkinson


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Par La Presse Canadienne, 2025
MONTRÉAL — Une équipe internationale dont fait partie un chercheur montréalais a réussi à photographier ce qui pourrait essentiellement être les tout premiers instants de la maladie de Parkinson, le trouble neurodégénératif à la croissance la plus rapide à l'échelle de la planète.
À l'aide d'instruments à la fine pointe de la technologie, le professeur Lucien Weiss, du département de génie physique de Polytechnique Montréal, et ses collègues ont vu et compté ― pour la première fois et en direct ― les agrégats microscopiques de protéines qui, dans le cerveau, pourraient être à l'origine de la maladie de Parkinson.
Avant cette percée, les scientifiques n'avaient pu «voir» dans le cerveau que les agrégats de protéines beaucoup plus gros (appelés corps de Lewy) qui sont présents une fois que la maladie est bien installée et que les symptômes se manifestent.
«Dans mon domaine, on dit souvent qu'il faut le voir pour le croire, a dit le professeur Weiss, que La Presse Canadienne a rencontré en exclusivité à son laboratoire de Polytechnique. Dans ce cas, lorsque nous examinons les agrégats de protéines, nous connaissons l'existence de ces gros agrégats. La question est de savoir d'où ils viennent. Ils doivent provenir de quelque chose de plus petit, de ces protéines individuelles, qui doivent s'assembler (pour les former).
«C'est ce que cette étude a permis de faire: créer les conditions (...) de sorte que nous puissions voir ces oligomères dans le tissu cérébral.»
On soupçonne depuis longtemps que ces agrégats infimes, appelés oligomères d'alpha-synucléine, jouent un rôle important dans l'apparition de la maladie de Parkinson, mais c'est la première fois qu'on réussit à les observer dans le cerveau.
L'équipe d'une trentaine de personnes dont faisait partie le professeur Weiss a développé une nouvelle technique d'imagerie appelée Advanced Sensing of Aggregates for Parkinson’s Disease (ASA-PD) qui rend visibles ces agrégats dont la taille se mesure en milliardièmes de mètres.
Lors d'une entrevue accordée à la BBC, un membre de cette équipe, le professeur Steven Lee de l'université Cambridge, a comparé les corps de Lewy aux «pierres tombales» de la maladie de Parkinson, en ce sens qu'elles indiquent aux chercheurs où la maladie était, et non pas où elle a pris naissance.
Les scientifiques ont comparé des échantillons de tissu cérébral provenant de donneurs sains et malades pour essayer de déterminer où, exactement, la maladie débutait.
Le professeur Weiss a expliqué avoir passé du temps au Centre hospitalier de l'Université de Montréal, et notamment au laboratoire de pathologie, ce qui lui a permis de constater les problèmes auxquels se heurtent ceux qui y travaillent, puis de réfléchir à la manière dont les outils développés dans son laboratoire pourraient être utilisés.
«Nous examinons les problèmes qu'ils (ont) et nous nous demandons si nous avons quelque chose pour les résoudre ou si nous connaissons quelque chose pour les résoudre, a-t-il dit. Dans le cas présent, il s'agit de ces hypothèses et de la possibilité de produire (des réponses) pour la maladie de Parkinson. L'imagerie est vraiment au cœur de tout ça.»
Les auteurs de l'étude ont été étonnés de trouver des «images très similaires» (à savoir, des agrégats) dans tous les échantillons, a-t-il indiqué. La différence: les agrégats provenant des cerveaux malades étaient plus gros, plus visibles et plus nombreux.
Les chercheurs ont également découvert une sous-classe d’agrégats qui apparaissait uniquement chez les patients atteints de la maladie de Parkinson, ce qui pourrait constituer l’un des premiers marqueurs visibles de la maladie, et ce, potentiellement des années avant l’apparition des premiers symptômes.
Les chercheurs ont enfin constaté des différences subtiles dans la répartition des agrégats.
Avec le recul, a dit le professeur Weiss, «il est logique» de penser qu'il existe dans les tissus de la maladie de Parkinson «ces pathologies de Lewy que l'on ne voit pas dans les tissus sains».
«Et lorsque vous commencez à regarder cela, vous pouvez dire, attendez une seconde, je pense qu'on peut commencer à faire la différence, a-t-il précisé. La nature de l'imagerie permet d'obtenir des informations spatiales, ce qui permet de poser toutes sortes d'autres questions.»
L'ASA-PD a révélé une «abondance d'assemblages nanométriques», ajoutent les auteurs de l'étude, à la fois dans les tissus contrôles et dans les tissus de la maladie de Parkinson.
Leur présence dans les tissus contrôles et malades suggère que de petits agrégats d'alpha-synucléine «se forment dans des conditions physiologiques, où leur formation et leur élimination sont maintenues en équilibre par le système d'homéostasie des protéines».
Les petits agrégats, ajoutent-ils, «sont de loin les espèces d'agrégats les plus abondantes, ce qui souligne la nécessité de déterminer la nature de leur lien avec la maladie de Parkinson, une question qui reste depuis longtemps sans réponse dans ce domaine».
«Il a déjà été démontré que les petits agrégats étaient plus nombreux dans les cerveaux présentant une pathologie de Lewy que dans les cerveaux des contrôles, et des niveaux élevés d'oligomères ont été détectés dans le liquide céphalo-rachidien des patients atteints de la maladie de Parkinson par rapport aux contrôles, augmentant avec la gravité de la maladie», disent-ils.
Les auteurs de l'étude espèrent que leur découverte pourra, éventuellement, mener au développement de tests pour dépister la maladie encore plus tôt (possiblement en recherchant des agrégats dans le liquide cérébral, ou avec une biopsie à l'aiguille) ou pour mesurer l'efficacité de différents traitements, d'autant plus que des technologies similaires pourraient possiblement être utilisées face à d'autres troubles neurodégénératifs comme la maladie d'Alzheimer ou la maladie de Huntington.
L'utilisation d'ASA-PD conjointement avec d'autres technologies «permettra d'identifier les voies et mécanismes clés associés aux environnements cellulaires qui favorisent l'agrégation des protéines et la formation des corps de Lewy».
«Nous notons également que la méthode ASA-PD est largement applicable à d'autres maladies neurodégénératives, où le rôle de l'agrégation des protéines reste largement à élucider», disent-ils.
Ces travaux s'inscrivent dans le cadre plus large du programme ASAP (Aligning Science Against Parkinson), qui est notamment financé par Sergeï Bryn, un des cofondateurs du mastodonte Google.
Les conclusions de cette étude ont été publiées par le journal Nature Biological Engineering.
Jean-Benoit Legault, La Presse Canadienne